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L’évolution de la méthodologie : un périple dans le temps

Monique Boileau
(L’Actualité langagière, volume 5, numéro 3, 2008, page 18)

Allocution prononcée par Monique Boileau le 23 novembre 2007 au congrès annuel de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec.

Les terminologues qui travaillent dans une structure d’entreprise gouvernementale devant générer les revenus nécessaires au maintien de ses opérations sont appelés à adapter leurs méthodes de travail aux besoins sans cesse changeants de l’entreprise. Au fil des ans, la méthodologie utilisée au gouvernement fédéral et, plus particulièrement, à la Direction de la normalisation terminologique (DNT), a été profondément marquée par cet état de fait. Voyons comment.

L’australopithecus

Il n’y a pas si longtemps encore, le terminologue, que je qualifierais « d’australopithecus », vivait à l’ère du papier. Il entretenait peu de contacts avec les ministères et les usagers de TERMIUM®. Il travaillait en vase clos, mais le résultat de ses recherches était connu à l’étranger. Il définissait lui-même ses priorités. Les échanges avec l’extérieur s’inscrivaient dans le contexte de travaux effectués parfois en comité, parfois au sein de commissions spécialisées. Sa méthodologie était conforme à l’approche traditionnelle. Il possédait quelques outils rudimentaires pour l’assister dans ses tâches, et les moyens de communication mis à sa disposition étaient limités. Examinons ce personnage de plus près.

Ses tâches, sa méthodologie

L’australopithecus effectue soit de la recherche thématique qui donne lieu à des fiches TERMIUM® ou à des publications, soit de la recherche ponctuelle. Il définit l’arbre de domaine en utilisant des encyclopédies et des ouvrages de référence. Il consigne chaque terme relevé sur une fiche papier. Il recopie fidèlement contextes et définitions en indiquant clairement les sources. Il ajoute parfois une observation. Les résultats rassemblés puis classés servent à l’élaboration des fiches. Il définit la notion en choisissant le contexte ou la définition la plus pertinente. Le crochet terminologique est obligatoire. L’unité traductionnelle s’accompagne souvent d’un exemple d’utilisation. Il cite comme sources des ouvrages publiés par des maisons d’édition : monographies, vocabulaires et lexiques.

Les sources écrites attestent l’usage, sauf en recherche ponctuelle, où les sources orales sont permises. La rédaction de définitions est réservée aux travaux faits en collaboration avec des spécialistes, aux fins de publication seulement. Après révision, les fiches papier sont transmises à la saisie pour emmagasinement. Toutes les fiches sont accessibles à l’interne (fiches complètes, partielles ou de travail). On autorise le chargement systématique de lexiques ou de vocabulaires pour répondre aux attentes des traducteurs du Bureau. Enfin, la terminologie étudiée en comité porte la mention « uniformisée» plutôt que « normalisée ». En effet, seuls les termes tirés de normes (ISO, AFNOR, etc.) ou ayant été publiés par des organismes officiels (comme l’OTAN) sont considérés comme étant normalisés.

La naissance du terminologue « modernicus »

Il y a une dizaine d’années environ, l’australopithecus s’est métamorphosé. Ce changement est étroitement lié à la décision de diffuser TERMIUM® à grande échelle, au sein de la fonction publique fédérale et auprès du grand public.

La base de référence TERMIUM® devient un produit commercial, et les utilisateurs et abonnés se transforment en partenaires.

Les changements méthodologiques

Des ateliers de rédaction de définitions dans les deux langues officielles sont donnés à l’ensemble des terminologues. La nécessité de rédiger des définitions incite à une plus grande collaboration avec des spécialistes, surtout dans les domaines techniques et scientifiques. Je vous mets au défi, si vous n’êtes pas spécialiste, de définir en 45 minutes les termes : « grey level co-occurrence matrix » et son équivalent « matrice de cooccurrence des niveaux de gris » (petit indice : domaine de la télédétection, du traitement de l’image).

Outre la rédaction de définitions, la traduction et la transposition sont des procédés utilisés pour assurer la compréhension de la notion, dans les deux langues officielles. L’observation sert à apporter des précisions relatives à la notion étudiée.

La consignation de phraséologismes vient répondre aux attentes des utilisateurs qui souhaitent connaître les cooccurrents d’un terme (ex. : Vocabulaire combinatoire de la CFAO mécanique et Vocabulaire combinatoire de l’imagerie fractale).

Les exemples cités sur certaines fiches servent à confirmer l’usage, sans plus. L’obligation de rédiger des définitions fait que certaines fiches sont moins étayées et que la recherche synonymique est moins exhaustive, surtout dans les domaines très spécialisés.

La qualité en toutes lettres

Le Guide TERMIUM® enrichi et adapté aux nouvelles méthodes de travail voit le jour. Le Comité de méthodologie veillera à l’uniformisation de la méthodologie et à la mise en application rigoureuse du nouveau Guide.

Un système universel de contrôle de la qualité est instauré, ainsi qu’un plan d’encadrement de deux ans pour les nouvelles recrues. La révision systématique des terminologues nouvellement embauchés devient pratique courante.

La mise à niveau méthodologique du personnel passe obligatoirement par l’organisation d’ateliers de révision pour les chefs d’équipe et d’auto-révision pour le reste des terminologues. Des forums de discussion sont mis en chantier, une façon bien actuelle de consolider les compétences nouvellement acquises dans les ateliers et de débattre des cas problèmes.

Par ailleurs, on privilégie la gestion de contenu par domaine pour faire en sorte que les fiches déjà en banque ou récemment créées soient en conformité avec le Guide. Les clients abonnés à TERMIUM Plus® sont également mis à contribution. Tous les commentaires transmis par courriel relativement aux fiches en banque parviennent aux terminologues, qui doivent en assurer le suivi dans les plus brefs délais.

Le maillage avec les ministères, une stratégie gagnante

Le terminologue est au coeur de ces échanges à titre de chargé de projet, d’expert-conseil ou encore de gestionnaire d’ensembles terminologiques.

La diffusion de TERMIUM® dans l’ensemble de la fonction publique a pour effet d’augmenter la visibilité de la terminologie au sein des ministères. La terminologie devient une plus-value lors de la signature de contrats de services entre le Bureau et ses clients.

La DNT met sur pied le Conseil fédéral de terminologie, qui a pour mandat de veiller à la normalisation de la terminologie commune des ministères et des organismes fédéraux, dans les deux langues officielles.

Plusieurs des publications qui voient le jour découlent de collaborations avec les ministères et viennent enrichir TERMIUM®. Parmi les publications actuellement hébergées sur le site du Bureau de la traduction, mentionnons le Lexique de la gestion des ressources humaines, le Lexique de Passeport Canada, le Lexique sur les autres formes de prestation de services. Cette stratégie de partenariat entre les ministères et la DNT est un gain pour les traducteurs et les pigistes, qui trouvent dans TERMIUM® la terminologie de leurs clients.

Les provinces et territoires emboîtent le pas. Le Conseil national de terminologie est créé. La DNT souhaite répondre ainsi aux besoins des provinces et des territoires. À la demande du Service de traduction du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, la DNT publie le Vocabulaire de la taille du diamant.

La liste des collaborateurs ministériels s’allonge. Les comités ont la cote : Défense nationale, Agriculture Canada, Parcs Canada, Ressources naturelles Canada.

Les collaborateurs étrangers ne sont pas en reste — l’Association mondiale de la Route, les Commissions de terminologie et de néologie de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), l’ISO et l’OTAN. Les terminologies issues de ces collaborations sont emmagasinées dans la banque.

Au Bureau, les traducteurs spécialistes s’organisent et créent des groupes de travail auxquels ils associent les terminologues pour travailler à l’élaboration de nouvelles terminologies, par exemple sur les plateformes gyrolasers (Division de la traduction technique), la Station spatiale internationale, RADARSAT-2 (Agence spatiale canadienne). Cette recherche « en amont » contribue à une plus grande rationalisation du travail et des ressources, tout en donnant accès à une terminologie de qualité. L’uniformisation des termes contribue à faciliter le travail des réviseurs lors du contrôle de la qualité ainsi que la tâche des traducteurs qui utilisent les mémoires de traduction.

De plus en plus de clients ministériels s’adressent à la DNT pour faire valider leur base de données ou pour demander la création de bases de données sur mesure. C’est le cas de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Des projets rentables pour le Bureau, de nouvelles fiches pour la banque. Grâce au maillage avec les ministères, la DNT contribue à l’effort de « normalisation terminologique » traditionnellement réservé aux seuls comités et autres commissions mandatés.

La terminologie élargit son champ d’influence

La DNT décide d’ajouter l’espagnol et le portugais sur certaines fiches pour répondre aux nouveaux besoins. Des terminologies trilingues sont colligées et donnent lieu à des publications (ex. : le Dictionnaire du financement et de l’assurance à l’exportation). Dans cette foulée novatrice naît le Coin linguistique du gouvernement du Canada, un outil de référence et d’auto-apprentissage qui permet aux fonctionnaires fédéraux d’accroître leurs compétences linguistiques. Le site regorge de conseils linguistiques relatifs aux difficultés de grammaire, de syntaxe et d’usage à l’intention des francophones et des anglophones. La mascotte du site, Virgule la libellule, aide les usagers à approfondir leurs connaissances grâce à des exercices, des exemples et des jeux.

Les échanges internationaux sont privilégiés, comme le montre la publication de lexiques trilingues élaborés en collaboration avec le Réseau panlatin de terminologie (REALITER) portant sur la bioéthique et le commerce électronique. Des équipes de formateurs se rendent jusqu’en Amérique latine, en Afrique et au Nunavut pour donner des ateliers de terminologie.

Les nouveaux outils : du matériel au virtuel

Internet s’impose, mais encore faut-il que le terminologue sache s’en servir. Une demande mal formulée peut donner des résultats décevants, parfois même cocasses. Je cherchais récemment des renseignements sur le terme chevrette (une partie de la scie de long). En interrogeant les termes chevrette et scie, sans donner plus de précisions, j’ai obtenu des renseignements sur presque toutes les chevrettes du monde, y compris le ministre québécois Guy Chevrette. Une connaissance approfondie des stratégies de recherche est donc absolument essentielle pour obtenir les résultats souhaités.

Parmi les outils Internet fréquemment utilisés par le terminologue, mentionnons les moteurs de recherche (Google, AltaVista, etc.), les annuaires, les images, les bases de données gratuites et payantes, les forums de discussion, le courriel.

À partir de son poste de travail, le terminologue accède en quelques clics à des sites spécialisés partout dans le monde : thèses universitaires, rapports de recherche, documentation de fabricants, bases de données (ONU, ESA, ASC, NASA, IATE), textes de lois et règlements, normes, encyclopédies, etc. En réseau, il peut consulter des dictionnaires généraux et spécialisés. Il importe toutefois de dire qu’Internet n’est pas une panacée et que cet outil ne saurait en aucun cas remplacer les ouvrages publiés par les maisons d’édition.

Le principal inconvénient des sources trouvées sur le Web réside dans leur courte durée de vie. Elles ne servent qu’à confirmer l’existence des termes à un moment donné.

Bien que le terminologue applique des critères rigoureux dans le choix qu’il fait des sources Internet, il arrive que la piètre qualité linguistique des textes de référence l’oblige à réécrire des segments complets de phrases, voire des paragraphes entiers. Le manque de rigueur du contenu est un irritant additionnel qui vient compliquer sa tâche.

Le terminologue s’entoure de personnes-ressources en créant des réseaux et des forums d’échange avec des spécialistes et des fabricants de partout dans le monde.

Parmi les autres usages non conventionnels qu’il peut faire du Web, mentionnons la définition de l’arbre de domaine, l’établissement de réseaux notionnels, la recherche de cooccurrents, la vérification de la fréquence d’utilisation de termes, la recherche de tournures idiomatiques en langue de spécialité, le repérage de textes diversifiés par lieux géographiques, par catégories de sites : commercial, gouvernemental, universitaire, etc.

Internet, une vitrine sur le monde. Le Bureau de la traduction offre gratuitement sur son site les publications électroniques de la DNT. TERMIUM Plus® est également accessible partout sur la planète.

Les outils dédiés

Le dépouilleur YVANHOE est un outil de dépouillement maison qui permet de faire l’extraction de données de textes numérisés, données qui seront ensuite transférées automatiquement dans le logiciel de saisie LATTER-DOS ou LATTER-WINDOWS, et ce, en format de fiche compatible avec TERMIUM®.

L’outil de saisie LATTER est utilisé pour la consignation de données sur fiche et pour la gestion d’ensembles. L’échange de données peut se faire entre deux LATTER ou entre LATTER et TERMIUM®.

L’outil PUBLICIEL sert à produire des publications. Les données exportées de LATTER vers PUBLICIEL sont mises en page par le terminologue. Une équipe d’éditique apporte les corrections fines. Ce logiciel comporte plusieurs formats d’impression. LATTER et TERMIUM® sont également dotés de fonctions d’éditique rudimentaires, utiles surtout pour les impressions ponctuelles.

Divers outils d’extraction servent au dépistage de termes, à des fins d’élaboration de lexiques. La DNT cherche actuellement un extracteur bilingue qui doit servir d’outil d’appoint pour les mémoires de traduction.

Le courriel apparaît comme l’outil multitâche tout désigné pour assurer l’échange ou le suivi de dossiers (comités virtuels), l’acheminement de lots de fiches, la gestion des tâches et l’archivage de documents divers.

Qu’exige-t-on du terminologue en 2008?

Une connaissance poussée des deux langues officielles, une grande capacité d’analyse, un esprit de synthèse aiguisé, de la facilité à travailler en équipe, de la souplesse alliée à une capacité d’adaptation hors du commun, des aptitudes pour la rédaction, la communication, la pédagogie, la gestion et la technologie.

Les préoccupations des terminologues à la DNT

Parce que le terminologue doit utiliser, au quotidien, une panoplie de logiciels, il se sent parfois démuni parce qu’il connaît peu ou mal les fonctionnalités des outils mis à sa disposition. La formation continue et l’auto-apprentissage ne suffisent pas à combler toutes les lacunes. Des ateliers sur mesure ou « à la carte » pourraient répondre à des besoins particuliers.

La création de profils de carrière diversifiés (terminologie et formation, terminologie et communications, terminologie et promotion, etc.) serait peut-être une façon originale de répondre à certaines attentes liées au monde du travail.

Pour les terminologues, l’avenir est à la fois prometteur et incertain. La profession n’a pas progressé au même rythme que la traduction ou l’interprétation. Sur le marché du travail, la terminologie est marginalisée et son statut mal défini. Ce flou engendre un malaise et des hésitations chez les candidats qui souhaiteraient y faire carrière.

Les domaines de spécialité étant de plus en plus complexes, la formation en milieu de travail ne suffit plus. Elle exige beaucoup de temps et l’autonomie complète est loin d’être assurée. Les lacunes se concrétisent lors des échanges avec des spécialistes ou quand vient le moment de rédiger dans les domaines scientifiques et techniques. Bien que la Direction continue de privilégier l’embauche de candidats ayant une double formation, par exemple la traduction et une spécialité dans certains secteurs (technique, scientifique ou juridique), des mesures spéciales devraient être adoptées pour aider les non-spécialistes déjà en poste.

La terminologie ouvre actuellement la voie à des possibilités de carrière qui dépassent de loin le cadre actuel de la profession. Il suffit de penser à l’intelligence artificielle (hiérarchisation et catégorisation des concepts), au développement de logiciels dédiés au traitement des langues, à la traduction assistée par ordinateur (élaboration de dictionnaires), à la recherche fondamentale en classification des connaissances. Les universités doivent donc créer des programmes correspondant aux nouvelles réalités du marché pour que la profession gagne ses lettres de noblesse.

La terminologie est une profession en devenir. Elle reste aussi une profession à redéfinir.