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Traduire le monde : Élision, omission et toponymes

André Racicot
(L’Actualité langagière, volume 2, numéro 3, 2005, page 16)

Faut-il faire l’élision devant un toponyme étranger commençant par un h? La question est brutale et de nombreux langagiers se la posent souvent. Encore faudrait-il que les dictionnaires précisent si les noms figurant dans leurs pages commencent par un h aspiré ou non. Certains diront qu’il faut prononcer le h de tous les toponymes étrangers et que, par conséquent, il ne peut y avoir d’élision. Un petit coup d’œil dans les grammaires convainc qu’il est impossible d’être aussi catégorique.

Commençons par deux cas très simples : la Hongrie et le Honduras. Voilà qui semble aller dans le sens de l’aspiration universelle au h aspiré. Mais ne dit-on pas la République d’Haïti, où l’élision est le signe évident que le h n’est pas aspiré? Et que dire de la ville d’Halifax, dont fait état TERMIUM®1? Pourtant, n’y a-t-on pas organisé en 1996 ce qui était alors officiellement désigné comme le Sommet de Halifax? Cette appellation a complètement disparu de TERMIUM®. Étrange.

Si Grevisse constate que le h aspiré se trouve dans les noms de lieux et de personnes des pays de langue germanique, il ne tarde pas à énumérer toute une litanie d’exceptions entrées dans l’usage où le h en question n’est plus aspiré. De fait, aucun auteur consulté ne se risque à proclamer que dans tous les noms d’origine étrangère commençant par un h, celui-ci est systématiquement aspiré. Et pour cause, car l’usage, lui, est loin d’être aussi linéaire, comme d’habitude. Si l’expression les habitants de Hambourg se construit le plus souvent avec un h aspiré, il n’est pas rare de lire la politique d’Hitler. D’ailleurs, ne parle-t-on pas d’hitlérisme? Et un certain Charles de Gaulle, pas tout à fait un plumitif, faisait lui aussi l’élision en parlant du célèbre dictateur. Comble de malheur, les mêmes incohérences se voient dans d’autres langues. Parmi de nombreux exemples possibles, mentionnons la bombe d’Hiroshima au lieu de la bombe de Hiroshima. Toutes ces pirouettes de l’usage peuvent s’expliquer par le fait que le h des noms communs et des noms propres n’est tout simplement pas prononcé en français, du moins la plupart du temps. Par conséquent, il est fort tentant pour les francophones de faire de même avec les noms d’origine étrangère, d’où la confusion dans l’usage.

Le cas de l’omission de l’article devant la voyelle initiale semble plus facile, mais il ne l’est pas vraiment, car, là encore, l’usage vacille. Prenons deux exemples : la République de l’Inde et la République d’Indonésie. Imagine-t-on la République d’Inde? Signalons d’entrée de jeu que ces formulations ont été adoptées officiellement aux Nations Unies. Chacune d’entre elles a d’ailleurs des petites sœurs : la République de l’Équateur, de l’Ouganda, de l’Uruguayetc., d’une part; la République d’Estonie, d’Ouzbékistanetc., d’autre part.

Les ouvrages de langue ainsi que les experts consultés ne m’ont pas permis de trouver quelque règle que ce soit. D’ailleurs les variations observées à l’ONU montrent qu’encore une fois l’usage n’est pas fixé.

On rencontre d’ailleurs le même problème avec la formulation gouvernement de… Faut-il mettre l’article ou non? Avec le masculin, il n’y a pas de difficulté : le gouvernement du Nicaragua, du Népal. Mais le gouvernement de Somalie ou de la Somalie? Walter von Wartburg, dans son Précis de syntaxe du français contemporain, ne mentionne pas l’usage avec gouvernement, mais est d’avis que l’article est omis dans les expressions anciennes fixées par l’usage comme le royaume d’Espagne et l’histoire de France. Nous serions mal avisés d’ériger cette observation en règle et de l’appliquer au mot gouvernement, car elle force la définition de deux catégories de toponymes : ceux qui prennent l’article et ceux qui ne le prennent pas. Nous aurions donc le gouvernement de Belgique (ancien usage) et le gouvernement de l’Éthiopie (usage plus récent)? Et qu’est-ce qui est sanctionné par l’usage et qu’est-ce qui ne l’est pas? Ne comptez surtout pas sur Google pour départager ce qui se dit couramment de ce qui serait marginal. Dans certains cas les deux tournures sont au coude à coude dans les résultats de recherche…

Une façon de régler la question serait de dire tout simplement que les textes soignés requièrent l’article après gouvernement. Après tout, n’est-il pas plus élégant de dire le gouvernement de la France que le gouvernement de France? J’ai soumis cette proposition à la lexicographe Marie-Éva de Villers, auteure du Multidictionnaire de la langue française. Elle m’a répondu que si l’emploi de l’article défini est obligatoire au masculin, il devrait l’être au féminin. Ce qui donnerait ceci : Le gouvernement du Canada salue le gouvernement de la France. Le gouvernement de l’Arménie présente ses revendications au gouvernement de la Turquie. Vous ne trouvez pas que c’est beaucoup plus simple ainsi?

NOTE